Adolescent, j’avais un rêve: devenir surveillant d’une aire de rapace menacé. Je ne savais pas qu’à l’âge de 41 ans,mon rêve se réaliserait…
Aimer, c’est partager: « Lumières cévenoles » est allée pendant 11 semaines surveiller une famille de pèlerin: espèce rare et si emblématique au destin parfois tragique. Nous avons partagé notre passion avec certains car c’est la devise de l’association. Mais nous nous interrogeons à chaque fois sur les limites à ne pas franchir pour le bien être des animaux. Nous partageons à présent cet article avec ceux qui n’ont pas pu nous suivre dans cette aventure.
Toutes les photos ont été recadrées et des objectifs de 400mm et 600mm ont été utilisées. Une centaine de mètres nous sépare de notre sujet.
Une découverte...
14 mars, Christophe D, Christophe G et moi faisons une sortie « rapaces ». Tout à coup,au détour d’un sentier de randonnée, un cri perçant se fait entendre dans le vallon. C’est un adulte qui arrive dans son nid. Nous nous camouflons derrière un rocher. Pour une fois, nous sommes au-dessus d’une aire et non en dessous. Afin d’éclaircir la cavité,nous réglons l’appareil: compensation +1 étape. Nous sommes subjugués mais nous préférons ne pas nous attarder afin de ne pas les perturber. Il y a 3 oeufs au fond de la vire.
Les parades commencent vers la fin février puis les faucons choisissent une vire dans un trou ou une cavité abritée. ils ne construisent pas de nid. Le couple a plusieurs petites cavités qu’il affectionne et il lui arrive de changer certaines années de lieu de ponte. Il n’y a qu’une ponte par an de la mi-mars à début avril. La femelle pond 3 ou 4 oeufs crème tacheté de brun rouge.
Le 27 mars, Christophe G, Michel et Nicole et Jean-Claude retournent
sur place. 2 semaines ont passé. Un adulte couve toujours.
L’incubation est faite surtout par la femelle pendant 30 jours. Il y a
peu de différence entre le mâle et la femelle et il est difficile de
les reconnaître.
Deux petits sont nés !!!
Le 13 avril, Sébastien F et moi sommes à l’affût sous un filet de camouflage.
Canon 7D, 400mm 4.5 /5.6, F/11, 1/250, iso 400, +1.7
Photo Sébastien F
Nous nous trouvons face à face au bord du vide à cheval sur un petit arbuste sous un filet, entourés de gros rochers. Discrétion assurée car des mésanges se posent au-dessus de nous. C’est bien la preuve que nous sommes invisibles. L’endroit n’est pas confortable et le vide n’est pas loin. Il va falloir tenir car le jeu en vaut la chandelle. Surgissant de nulle part, leur cri les précède.
Toutes les heures, un des parents arrive au nid avec de la nourriture. L’autre reste près des petits, les abrite du soleil et les protège des prédateurs comme les corbeaux. Parfois les deux parents quittent le nid et là notre inquiétude grandit car les poussins sont sans surveillance. Que se passerait-il si un corvidé arrivait ? Que pourrions nous faire pour les sauver ?
6 heures durant, nous allons rester immobiles à attendre l’atterrissage et le décollage des parents; Les rotations se passent bien.Elles sont régulières et les faucons ne semblent pas dérangés par notre présence. La matinée est couverte mais l’après-midi sera chaude et ensoleillée.
Le trépied est impossible a utiliser car le dénivelé est trop important. 600 photos chacun seront prises ce jour là.
La suite ?
Le 1 mai, Sandrine, André et moi arrivons. Toujours la même angoisse: Sont-ils encore vivants ? Se sont-ils déjà envolés ? J’arrive au sommet de la falaise et là: stupeur, je ne vois rien dans le nid. Mais un cri retentit, un des parents arrive et deux grands poussins blancs font leur apparition, en s’approchant de l’entrée.
La météo n’est pas bonne.
La luminosité est faible et le vent souffle fort. Nous sommes frigorifiés. Il faut monter en iso. L’attente est longue. Les parents ne viennent plus toutes les heures. Ils laissent les poussins sans surveillance pour partir chasser.
Peuvent-ils chuter ? Oui,les chutes malencontreuses peuvent arriver.
Le 8 mai, mes craintes se révèlent exactes: il n’y a plus qu’un jeune
malheureusement. Le deuxième a-t-il chuté ? S’est-il fait manger par un
Grand-duc ?
C’était prévisible, connaissant les statistiques du nombre de
jeune à l’envol ( moins de1par nid). Je scrute désespéramment le bas de
la falaise à la recherche d’indices mais même s’il avait chuté, un
renard aurait pu l’emporter et faire disparaître l’oiseau. Beaucoup de
jeunes meurent avant d’atteindre leur troisième semaine dû aux
intempéries, au manque de nourriture ou aux maladies. Quant au
survivant, il se porte à merveille. Il a encore grossi et se déplace
dangereusement au bord du précipice. Il entre et sort de sa grotte, se
prélasse au soleil. Les parents viennent toutes les heures le
ravitailler.
Le 25 mai, le jeune est prêt à l’envol.Ce n’est plus un petit faucon blanc duveteux que je trouve mais un beau et majestueux juvénile. Je prends quelques clichés mais la cavité est à l’ombre le matin. Alors l’attente commence. J’attends le ravitaillement des parents et que le soleil éclaire mon protégé. 2 heures après, un des parents se pose, dépose un oiseau dans la grotte et repart aussitôt. Le jeune crie, fou de joie. Il entre et sort avec sa proie dans son bec. Quel plaisir d’observer cette scène de vie si rare. Mais je sais aussi qu’il est temps de m’en aller et de lui dire adieu…
Epilogue...
Le 1 juin, Christophe D retourne sur place. Un oiseau décolle de la cavité. Sûrement le juvénile.
En guise de conclusion...
Au total, 9 adhérents auront rendu visite aux pèlerins ( certains seulement quelques minutes et de très loin, d’autres hyper camouflés auront vécu des scènes de vie inoubliables.)
Sans les déranger, nous avons pris toutes les précautions nécessaires: silence et immobilité, affût et tenue de camouflage. Des visites parfois courtes, espacées dans le temps et souvent seul ou à deux seulement. Certains diront que trop de personnes y sont allés, qu’il ne fallait pas en parler, que la passion a fait prendre un risque de dérangement. Ne pas perturber les animaux pour des clichés est la devise de l’association et je pense que nous nous y sommes tenus. L’endroit restera secret pour des raisons de sauvegarde de l’espèce.
Cette aventure a permis a l’association de tester ses limites, de nous interroger sur une question récurrente du photographe animalier: Jusqu’où peut-on aller pour assouvir notre passion ?
Le faucon Pèlerin
Fiche d’identité:
Longueur: 36-48cm
Envergure: 95-100cm
Poids: 580-750g mâle/ 925-1200g femelle
Maturité sexuelle: 2 ans
Longévité: 15 ans
Vitesse: Vol en piqué à plus de 250 km/h
Nourriture: oiseaux ( pigeons, étourneaux, grives et geai…)
Historique:
La destruction par tir, l’empoisonnement par le DDT et le trafic pour la fauconnerie ont entraîné un déclin rapide de l’espèce dans les années 60. Il ne restait plus qu’une centaine de couples dans les années 70. Après d’importantes mesures de protection, les effectifs ont pu se rétablir. Aujourd’hui, plus de 1300 couples se reproduisent sur le territoire.